• 7-1

      Lorsque Johanne quitta le vaisseau du commandant Sham, personne ne l’aurait reconnue. Elle s’était injecté un sérum spécial qui avait la particularité de faire ressortir la mélanine de la peau. Son teint était devenu aussi foncé que celui d’une habitante de Syncra. Dans le même temps, elle avait teint ses cheveux et ses sourcils en noir et avait natté sa chevelure en une multitude de petites tresses terminées par une perle. Le droïd qu’elle avait dissimulé dans la cale du vaisseau avait été parfait de rapidité ! Ainsi transformée, elle savait qu’elle ne risquait pas d’être arrêtée à cause des photos diffusées dans son avis de recherche. Elle se sentait prête à tout affronter.

     7-1

       Sa première idée avait été de rejoindre Syndël Myryan à son hôtel mais elle s’était vite ravisée. Il était bien plus judicieux de lui donner rendez-vous à l’extérieur de l’hôtel. Il y aurait moins de chance qu’elles soient espionnées par des sbires de l’Union. Elle avait laissé un message bref à la réception de l’hôtel, espérant que son amie se souviendrait du pseudo qu’elle s’était choisie à l’école de musique. Elle alla s’installer à la terrasse du café, en observant les passants. De toutes les planètes civilisées, Sobolev était la première qui avait été colonisée par les survivants de l’ancienne Terre. L’air était parfaitement pur, la végétation s’était adaptée convenablement, la planète était tempérée et éclairée par une étoile de type Soleil autour de laquelle elle tournait en presque douze mois standard, avec des journées de vingt-trois heures standard et des poussières. La capitale de Sobolev, Baire, avait été construite à l’imitation des plus célèbres villes de l’ancienne Terre, par des nostalgiques. Elle se trouvait pour l’heure dans le quartier “Paris”, à la terrasse d’un café situé au pied de la tour Eiffel. La Statue de la Liberté dominait la ville, située sur une colline. Plus loin, se détachait sur l’horizon la grande coupole de la basilique Ste Sophie qui trônait dans le quartier “Constantinople”.

     Comme tous les soirs, entre les deux minarets, une des deux lunes de la planète, passait entre Sobolev et son soleil qu’elle éclipsait, offrant un magnifique “croissant de soleil” dans la lumière pastel du couchant. La vision était magnifique. Johanne se demanda comment des gens qui vivaient avec de telles images devant les yeux avaient pu en arriver à l’Union Interstellaire… 

     7-1

    Tutoriel éclipse: babylon design

      Syndël arriva à l’heure dite et passa devant Johanne sans la reconnaître.

    - Hey ! Syndël ! appela-t-elle. On oublie sa plus vieille amie Loreen ?

      La chanteuse se retourna, stupéfaite.

     7-1

     Elle éclata de rire en reconnaissant le regard espiègle. Elle serra Johanne contre elle.

    - Oh ! Tu as un look génial ! Je suis tellement contente de te revoir ! s’exclama-t-elle.

    - Assieds-toi ! J’ai tant de choses à te raconter !

    - Je n’en doute pas ! Ma chère, je n’aurai jamais cru que tu puisses être un jour aussi bronzée que moi ! Et j’adore ce maquillage ! Il est superbe ! Cette couleur te va magnifiquement !

      Elles commandèrent des cocktails de fruits et Johanne maintint la conversation sur les sujets les plus futiles possibles. Lorsqu'elles eurent épuisé le sujet des vieilles copines, Syndël ne plouvait plus tenir. Elle abandonna son ton adolescent.

    - Joha… Euh ! Loreen ! Comment peux-tu être assez cinglée pour venir justement sur cette planète où…

    - Ne dis rien de plus ! coupa Johanne à mi-voix. J’ai besoin de ton aide, Syndël. Je veux m’introduire avec toi le plus près possible de…

    Elle n'ajouta rien mais son amie comprit.

    - Tu es givrée ! "Il" a mis ta tête à prix ! Que s’est-il passé d’ailleurs ?

    - C’est trop long à expliquer maintenant, Syndël. Mais je dois le faire. Pour sauver ma mère. Aide-moi !

      Syndël resta interloquée devant l’air suppliant de son amie. Une lueur d’incertitude passa dans ses yeux d’ambre.

     7-1

     - Le seul moyen que j’avais à ma disposition pour m’approcher de lui, c’est mon spectacle. Mais… Je comptais justement annuler les deux derniers concerts. J’ai convoqué une conférence de presse pour demain. Mon contrat devait être renouvelé dans dix jours. Je vais tout arrêter. Je vais enseigner la musique.

    - Tu veux arrêter de chanter ? s’exclama Johanne. Pourquoi donc ? C’était ta vie, ton rêve ! Et tu y étais arrivée !

    - Sais-tu que le comité de censure a refusé la moitié de mes nouvelles chansons, soi disant trop déprimantes, pas assez optimistes ! On m’en a imposé une dizaine à la place. Sinistrement midinette. Des « je t’aime » en veux-tu en voilà… Et deux d’entre elles sont des hymnes à la grandeur de l’Union. J’ai cru que je m’étranglais en lisant cette propagande. Sais-tu qu’on m’a interdit de faire une série de galas sur Syncra ? Sais-tu que je n’ai pas le droit de sortir avec le même mec deux fois d’affilée ? Imagine-toi que je dois être apparemment disponible pour mes fans. C’est un avenant à mon contrat, dont on m’a informée il y a un mois, quand j’ai voulu accepter un second rendez-vous avec un de mes musiciens. Ce n’était pas une grande perte, mais sur le principe, je ne supporte pas ! Je n’ai pas non plus de droit de regard sur mes costumes de scène, de moins en moins habillés. Dans peu de temps, ils vont me faire chanter nue ! Ce n’est pas ainsi que je concevais ma vie. Et je ne sais même pas s’ils vont me laisser partir…

      Johanne serra fort la main de son amie, tout en réfléchissant.

    - Mon scénario est toujours possible, vu que tu n’as pas encore fait l’annonce. C’est risqué et à double-tranchant. Il n’y aura pas de retour en arrière possible. Si tu es d’accord, ta conférence de presse va servir à me présenter à ton public.

    - Tu veux que nous fassions mes deux concerts en duo. devina Syndël.

    - Je vois qu’on partage toujours le même cerveau. s’amusa Johanne. Qu’en penses-tu ?

    - D’un point de vue théorique, pas de problème, nos voix s’accordent super bien. Et je sais de quoi tu es capable en danse ! Mais pourquoi veux-tu monter sur la scène ?

    - Parce que je compte lui en mettre plein la vue. Je vais lui jouer la partition qu’il a envie d’entendre.

    - Et comment on s’en tire après ?

    - J’ai des amis…

      Elle griffonna les noms de Sham et Arkab sur une serviette en papier. Syndël écarquilla les yeux et son amie réduisit en lambeaux l’objet compromettant. La jeune femme resta silencieuse quelques instants.

    - OK. Quitte à laisser tomber ce qui me tenait à cœur, autant que ce soit pour une vraie bonne raison.

    - Mais c’est sans espoir de retour en arrière, Syndël ! Et si ça rate…

     7-1

     - J’ai entièrement conscience de ce que cela implique. Je serai en fuite. Comme toi. Mais je ne supporte plus tout ça. Bref, passons aux choses sérieuses. Mes chansons…

    - Je connais par cœur tes deux albums.

    - Tu devrais t’en sortir, il n’y en a que trois de nouvelles.  Mais nous allons devoir travailler pendant les trois prochains jours et les trois prochaines nuits pour mettre au point la chorégraphie ! »

     

    Suite du chapitre 7


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  • 7-2

      Tout se passa comme elles l’avaient décidé : les producteurs applaudirent à deux mains, promettant un contrat définitif pour les deux filles en cas de succès. La conférence de presse permit de présenter Johanne aux médias. L’entraînement fut intensif pendant trois jours.

      La jeune femme pénétra sur scène avec son amie. Leurs cœurs battaient à tout rompre. Mais dès les premières notes de musique, le show les emporta.

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    7-2

     Johanne réussit à jouer le rôle qu’elle s’était fixé, à savoir regarder le plus souvent possible le colonel Amalric, avec un sourire enjôleur, surtout lorsque les paroles des chansons s’y prêtaient bien. Le duo des deux jeunes femmes se révéla être un triomphe. Après quatre rappels, le colonel Amalric monta sur la scène où il serra la main des chanteuses. Johanne réussit à garder son sang-froid, et lui sourit, repensant aux paroles prononcées par son père. Sa mère avait réussi à tromper Amalric pendant trois ans. Elle pouvait bien lui donner le change pendant quelques heures !

      Après le concert, Amalric avait organisé une collation pour ses invités dans sa demeure. Il y convia les deux jeunes femmes. Johanne ne refusa pas de s’asseoir à côté de lui, réussissant à dissimuler sa haine. Tout en devisant, ses yeux étudiaient la pièce où ils se trouvaient, dévisageaient toutes les servantes/esclaves qui faisaient le service sans parvenir à reconnaître nulle part les traits de Wendy Paresc.

      Elle repéra dans son dos, le fond de la salle à manger, où une série de niches abritaient des statues. La dernière la frit frissonner. Elle représentait une femme terrifiée, nue, les bras repliés sur la poitrine.

    - Auriez-vous remarqué mon plus beau trésor ? murmura Amalric en se penchant vers elle, un sourire charmeur aux lèvres.

    - Si vous voulez parler de la statue au fond, en effet ! répondit-elle. Je la trouve splendide, mais je me demandais en quelle matière elle était faite.

     7-2

     - Ma chère Loreen, ce chef-d’œuvre est coulé dans du marbre synthétique noir.

    - Cela me plaît beaucoup. L’artiste qui l’a réalisée doit être extrêmement doué !

    - Je vous remercie du compliment, chère Loreen. Car je dois vous avouer que j’en suis l’auteur. Mais vous seriez sans doute un modèle bien supérieur à celui-ci.

      La jeune femme rougit en baissant les yeux.

    - Cette femme était pourtant très belle. Qui est-ce ?

      Amalric sourit cruellement.

    - Il s’agit de ma pire ennemie, la révolutionnaire nommée Altaïr.

      Johanne fut heureuse que la couleur de sa peau soit suffisamment foncée pour dissimuler sa pâleur. Elle comprit ce que le colonel avait fait. Cela la remplit d’horreur.

    - Dois-je comprendre que vous avez moulé son cadavre ? se força-t-elle à plaisanter.

    - Oh ! Non ! Pas son cadavre ! Ma pire ennemie est toujours vivante à l’intérieur de sa statue ! En parfaite hibernation magnétique, comme je l’ai vérifié encore ce soir, avant le concert. J’admirais sa beauté et j’étais prêt à l’adorer toute ma vie, mais son comportement a tout gâché ! Alors je l’ai punie ainsi ! Sans me priver de la vision exquise de son corps.

    - La punition est forte, colonel ! minauda-t-elle malgré son dégoût. Je vous promets de ne rien faire pour encourir votre colère ! Cela me paraît trop effrayant !

    - Mais le résultat est magnifique ! Convenez-en ! Quel sculpteur parviendrait à rendre aussi bien la beauté d’une femme ?

    - Vous m’inquiétez ! Vous avez loué mon apparence tout à l’heure avec tant de fougue que je crains d’être moi aussi victime de la beauté artistique !

     7-2

     - N’ayez crainte, belle chanteuse ! chuchota-t-il à son oreille. J’ai pour vous d’autres projets beaucoup plus réjouissants ! Mais je vous en reparlerai demain soir après votre dernier concert, voulez-vous ?

    - Ce sera pour moi un très grand honneur !

     

    Suite du chapitre 7


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  • 7-3

    - Tu n’as pas changé d’avis, Jo ? chuchota Syndël en observant son amie commencer son maquillage élaboré.

    - Jamais de la vie ! Songes-tu à ce que je t’ai dit ? Ma mère est condamnée à cette hibernation terrible pour le plaisir d’un fou sadique ! Je dois la libérer. Mais toi, tu dois t’enfuir avant le début du concert ! Tu devrais déjà être partie !

     7-3

     - J’ai changé d’avis. Je ne veux plus te laisser seule…

    - Hors de question, je ne veux pas que sa colère te tombe dessus. Il est trop… dangereux pour que je te laisse courir un tel risque. Tu n’es jamais tombée entre ses mains. Moi, si. C’est pour ça que tu vas profiter du spectacle pour t’enfuir. Pars dès maintenant. Si tu restes et que tu te fais prendre, je ne me le pardonnerai pas. Je t’en prie.

      Syndël frissonna devant l’angoisse dans la voix de son amie. Elle hocha doucement la tête. Johanne poussa un soupir de soulagement.

    - Comme prévu, tu vas aller à l’astroport. Le vaisseau s’appelle le Hook. Tu diras au commandant Sham que tu viens de ma part. Tu lui expliqueras tout. Il t’emmènera. Et je m’en sortirai pour le concert, ne t’inquiète pas !

    - Que je ne m’inquiète pas ? Ce n’est pas pour le concert que je vais me faire du souci !

    - Il faut que tu partes, immédiatement ! Je t’en prie !

      Syndël soupira et serra impétueusement la jeune femme contre elle.

    - Prends garde à toi, ma Jo ! Tu es ma seule amie, ma seule famille ! Je ne veux pas te perdre !

    - Moi non plus, donc va te mettre à l’abri. On se retrouvera dans quelques heures ! »

      Syndël prit le sac dans lequel elle avait rassemblé les choses auxquelles elle tenait et sortit de la chambre d’hôtel par le balcon. Elle descendit l’escalier de secours en courant. Sans maquillage, les cheveux sagement tressés, personne ne pouvait soupçonner qu’elle était la star montante de l’aéro-pop. Le taxi la déposa devant l’astroport. Elle traversa la zone des voyageurs pour rejoindre les quais de fret.

     7-3

     Elle marchait lentement, en lisant le nom de tous les cargos, le cœur battant. Elle trouva enfin le Hook et s’approcha du vaisseau. La passerelle d’accès était fermée. Rien ni personne. Syndël hésita. Jamais Johanne ne l’aurait envoyée ici, si ce n’était pas un endroit sûr.

    - Miss, je vous conseille de ne pas faire le moindre mouvement, sinon, cela pourrait être très désagréable pour vous. »

      La jeune femme sentit avec horreur le froid du métal sur sa nuque. Ses poignets furent maintenus d’une seule main et elle se sentit plaquée contre un torse d’homme. Elle étouffa un cri.

    - Je vous en prie, ne me faites pas de mal !

    - Que faites-vous devant ce vaisseau ? Vous intéresserait-il ? demanda une seconde voix.

      Terrifiée, Syndël se mit à trembler devant le masque de Sham et son ton menaçant..

    - Je… Je suis envoyée par une amie ! balbutia-t-elle. Elle m’a dit que le propriétaire du Hook pourrait me protéger.

      Donatien leva les yeux au ciel, tandis que Camille serrait les poignets de la chanteuse avec plus de force, lui arrachant un gémissement.

     7-3

     - Votre amie aurait-elle un signe particulier ?

    - Jo Dorval est complètement folle ! s’écria Syndël, hors d’haleine. Mais vous devez faire allusion à son beau dragon vert.

    - Johanne est vraiment complètement givrée ! acquiesça Donatien.

    Il songea qu’il avait bien fait de garder son masque. Camille relâcha la jeune femme qui le fusilla du regard. Il lui fit un petit sourire d’excuse.

    - Navré, miss. Mais vous n’ignorez sûrement pas qu’il vaut mieux nous méfier pour notre sécurité ! Montez à bord ! »

      Syndël obéit, serrée de près par les deux hommes. Camille lui prit son sac. Ils s’installèrent dans la pièce à vivre du vaisseau. Sham attaqua l’interrogatoire.

    - Quel est votre nom ?

    - Syndël Myryan.

    7-3

     - La chanteuse d’aéro-pop ? s’exclama Arkab. Vous êtes plus jolie que sur les affiches ! Vous avez fait un triomphe hier chez Amalric, paraît-il ! Pourquoi voulez-vous fuir Sobolev ?

    - C’est pour Johanne. Hier soir, nous avons fait le concert toutes les deux.

      Camille et Donatien sursautèrent.

    - Ne me dites pas que Loreen Chapman c’est…

      Syndël hocha la tête.

    - Vous savez, il suffit de peu de chose pour transformer une mignonne petite blanche en aguichante Syncréenne. Une injection tous les matins pour stimuler la mélanine et dans son cas, une bonne dose de folie furieuse.

    - Nous parlons bien de la même. Mais… Et votre concert de ce soir ?

      Syndël secoua la tête.

    - C’est elle seule qui va le faire. Elle voulait à tout prix m’éloigner d’Amalric.

      Sham jura.

    - Mais pourquoi…

    - Elle veut séduire Amalric pour libérer sa mère. Il lui aurait avoué qu’il l’avait mise en hibernation magnétique dans une gaine de protection en marbre noir, la statue de sa grande salle.

    - C’est impossible ! murmura Camille, atterré.

     7-3

     - Peut-être. N’empêche que nous avons toutes les deux vu cette statue. Jo est persuadée que c’est sa mère. Cette nuit, elle va s’introduire dans le manoir pour la libérer.

    - Nous devons être prêts à les sortir de là ! souffla Donatien. Préviens ton père ! »

    Chapitre 8 ( à suivre! gniark )

     


     

      Et voilà le travail. Non seulement Johanne s'est plongée dans les ennuis, mais elle a embarqué sa meilleure amie avec elle. Elle avait bien un plan, n'est-ce pas... Enfin, un début d'embryon de plan peaufiné suite à sa discussion avec Syndel. Mais je ne vous avais pas menti!

       Bon j'ai eu du mal à retrouver mes téléchargements de coiffures afro, ainsi que les tenues affriolantes de nos chanteuses d'aéro-pop (aucune idée du son dont il s'agit, mais j'aimais bien l'idée d'aéro-pop...) J'avoue que la deuxième tenue de notre Johanne est très déshabillée (c'est censé être une tenue de Britney Spears que j'ai recolorée...), mais elle a un salopard à séduire, alors il faut ce qu'il faut! C'est la tenue que les producteurs voulaient imposer à Syndël et dont elle ne voulait pas^^

      J'espère que ça vous a plu. Je m'attelle à la suite dès que possible, afin que vous sachiez vite  à quelle sauce Johanne va être mangée!

      Merci pour vos commentaires!

    Bisous

    Koe


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  • « Je vous attends demain, miss Chapman ! Je compte sur vous, n’est-ce pas ?

    - Cher colonel, c’est avec joie que j’accepte votre invitation. Rien ne saurait me faire plus plaisir ! »

    8 - 1

      Johanne laissa l’homme lui baiser la main une fois de plus et s’assit dans l’aéroglisseur qu’il lui prêtait pour retourner à son hôtel. Le concert solo avait été un succès, sa voix rauque ayant réussi à donner l’illusion encore une fois qu’elle était une professionnelle. Amalric n’avait pas attendu que les applaudissements aient cessé pour venir la féliciter et recommencer sa cour. Elle avait supporté ses assiduités et les avait même encouragées avant de feindre un étourdissement. Elle avait prétexté la fatigue due aux deux concerts. Le colonel s’était empressé d’offrir son chauffeur, ce que Johanne attendait avec intérêt. Elle se laissa aller contre le dossier, feignant de somnoler, mais à travers ses longs cils, elle ne perdait pas de vue leur progression. Elle savait où elle devait agir, pour ne pas échouer. Elle n’avait pas le droit d’échouer !

      Comme prévu, le chauffeur dut ralentir pour passer le virage étroit. Johanne prit une grande aspiration en sortant la seringue de son sac. Le véhicule était presque arrêté lorsqu’elle planta l’aiguille dans la nuque de l’homme. Celui-ci freina brusquement avant de s’effondrer sur le volant, ce que Johanne espérait.

      Elle se hâta de descendre et ouvrit la portière. L’homme n’était pas trop grand et son habit lui irait parfaitement. En peu de temps, elle enfila ses vêtements. Elle ligota l’homme inconscient qu’elle hissa avec difficulté dans le coffre. Le reste ne fut qu’un jeu d’enfant. Elle conduisit tranquillement jusqu’à son hôtel, puis fit demi-tour et rentra à la propriété d’Amalric, comme si rien ne s’était passé. Le portail s’ouvrit grâce au badge électronique du chauffeur. Les vigiles ne remarquèrent rien d’anormal. Johanne s’introduisit sans aucune difficulté dans le grand salon d’Amalric. La pièce était plongée dans l’obscurité, mais elle avait bien repéré les lieux. Elle se dirigea jusqu’à la statue. Un petit interrupteur permettait d’éclairer la niche où se tenait… Wendy Paresc ?

      Émue, Johanne retrouva en effet les traits de sa mère sur le visage de marbre noir et chercha comment libérer Altaïr. Il devait bien y avoir un mécanisme électronique… Elle découvrit enfin le boîtier où devaient se trouver les commandes, dans le socle de la statue. Avec précipitation, elle ouvrit le couvercle. Des boutons lumineux… Il s’agissait vraiment d’un hibernateur !

      Elle n'hésita pas à baisser le levier qui devait permettre de libérer Wendy de la gangue de marbre qui la retenait prisonnière.

      Johanne recula d’un pas, lorsqu’un rayon rouge venu d’un émetteur fixé au plafond tomba sur la statue. Au bout de quelques secondes, le marbre noir se fendilla.

    8 - 1

    La roche dure se brisa en des milliers de morceaux qui tombèrent sur le sol, comme une nuée de cendres. Le corps d’Altaïr apparut alors, rigide et blanc.

      Johanne regardait cette statue humaine, les yeux écarquillés d’horreur. Soudain la peau reprit une teinte rosée. Les muscles durcis par l’hibernation se relâchèrent. La jeune femme bondit en avant pour retenir sa mère dans ses bras et empêcher qu’elle ne s’écrase sur le sol. Le corps resta inerte quelques secondes avant que les fonctions vitales ne reprennent, brusquement. Elle sentit le cœur recommencer à battre, la respiration se remettre en place… Les yeux s’ouvrirent brusquement, comme ceux d’une poupée mécanique. La bouche s’entrouvrit sur une inspiration suffoquée.

    8 - 1

     - Cal ! Je vous en prie ! Ne me faites pas ça ! gémit Wendy Paresc. Pitié !

      Johanne se souvint que sa mère était déconnectée du monde depuis onze ans. Malgré l’envie qu’elle avait de la serre fort contre elle, elle savait qu’elle ne devait pas lui révéler son identité à brûle-pourpoint. Le choc risquerait d’être trop fort. Elle décida de ne rien lui dire. Sa peau sombre allait l’aider.

    - Chut ! souffla-t-elle d’une voix tremblante. Je ne suis pas Amalric, Wendy !

      Altaïr sembla reprendre conscience. Son esprit était encore embrumé, mais elle s’écarta de Johanne, méfiante.

    - Qui êtes-vous ? Où suis-je ?

      Johanne se sentit envahie par la joie en entendant de nouveau cette voix chérie qu’elle n’aurait jamais cru réécouter un jour.

    - Répondez ! Où est Amalric ?

    - Je vous en prie, taisez-vous ! chuchota Johanne en essuyant ses larmes. Nous sommes dans le salon de ce salaud qui vous utilise comme œuvre d’art. Il nous faut partir, venez !

      Wendy se mit à frissonner, nue sur le carrelage. Johanne fronça les sourcils. Elle n’avait pas songé à ça… Mais elles étaient toutes deux de la même taille… Johanne se dressa d’un bond. Elle se débarrassa des vêtements du chauffeur sous le regard perplexe de sa mère. Elle avait gardé dessous son costume de scène.

    - Mettez ceci !

    - Je veux d’abord savoir qui vous êtes !

      Johanne hésita. Elle savait que si elle avouait la vérité, elle paralysait Wendy.

    - Je… Je m’appelle Loreen. C’est quelqu’un qui vous aime, qui m’envoie. Je ne peux dire son nom, mais vous l’appeliez Loup.

    - L’homme qui m’aime… Je vous fais confiance.

      Wendy enfila rapidement les vêtements.

    - Ne vous ai-je jamais vue ? demanda-t-elle en fixant le visage de sa fille.

      Gênée, Johanne secoua la tête.

    - Jamais ! Venez avec moi, nous ne pouvons pas rester là !

      Wendy hocha la tête.

    - Vous avez raison.

      Les deux femmes quittaient le salon lorsqu’une sirène se déclencha, vrillant leurs oreilles. Johanne poussa sa mère dans un coin de la pièce et elles se dissimulèrent derrière le socle d'une gigantesque statue.

     8 - 1

       Le colonel Amalric fit son entrée dans le salon et éclaira la lumière. Il avança d’un pas. Il crispa les mâchoires en constatant la disparition de sa statue préférée.

    - Alerte ! Trouvez-moi les deux femmes qui doivent se cacher quelque part dans cette baraque ! Ne les tuez pas, mais ramenez-moi ces deux garces !

      Il n’avait pas terminé son hurlement hystérique que le bruit assourdissant d’une explosion se fit entendre. La propriété du colonel Amalric était bombardée. Celui-ci lança une dizaine de jurons avant de quitter la pièce en courant.

    - Venez ! souffla Wendy. Je sais comment nous allons pouvoir sortir de là ! Je connais bien la maison…

      Johanne suivit sa mère dans les couloirs sombres de la propriété. Elles parvinrent sans encombre dans le sous-sol du bâtiment.

    - Il existe une issue qui permet de sortir directement sur la route. expliqua-t-elle. Elle se trouve dans le cagibi du fond si je me souviens bien.

      En effet, elle fit pivoter une poignée dans le sens inverse normalement utilisé. Une ouverture apparut dans le mur.

    - La sortie est au bout ! souffla Wendy.

      Johanne se retourna brusquement. Elle entendit le piétinement des hommes du colonel Amalric dans l'escalier. La voix de celui-ci se rapprochait. Elles n’avaient plus le temps. Sans hésiter, elle lui tendit son sac.

    - Altaïr ! Vous devez survivre ! Je n’ai aucune importance pour la Révolution, vous si ! Si nous sortons toutes les deux, il nous poursuivra ! Je vais le retenir ! Partez à l’astroport ! Rejoignez le Hook et Sham ! Vite ! Sham ! Le vaisseau appelé Hook !

      Disant ces paroles, elle poussa brusquement sa mère à l’extérieur et referma le passage avant de se réfugier dans la pièce d'à-côté. Elle essayait de déverrouiller une porte, le cœur battant lorsqu'un ordre la fit se retourner lentement.

    - Loreen Chapman ? s’exclama Amalric. C'est toi la responsable de ce carnage ? C'est toi qui as coordonné les bombardements ? Où est Altaïr ?

      Johanne essaya de ne pas montrer sa terreur.

    - Je ne suis pour rien dans l'attaque ! Altaïr n’est pas ici ! Je savais qu’elle aurait plus de chance si nous nous séparions. Elle n’est plus avec moi !

      Amalric s’approcha, menaçant.

    - Où est-elle ?

    - Dehors ! Si vous êtes là, alors elle a réussi à vous échapper. Elle va reprendre la lutte contre l’Union ! jeta Johanne. Sa légende est toujours vivante, sa résurrection galvanisera les gens. Elle finira bien par vous détruire !

          Hors de lui, Amalric l’attrapa par le bras. Il la secoua violemment avant de la projeter sur le sol. La tête de la jeune fille heurta le mur. Elle perdit connaissance.

     8 - 1

     Suite du chapitre 8


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  •   Dissimulée derrière le passage, Wendy entendit les paroles d’Amalric. Le son de cette voix haïe la bouleversa. Elle se mit à courir en direction de la ville, les questions se bousculant dans sa tête. Qui pouvait bien être cette Loreen qui venait de donner sa vie pour elle ? Que s’était-il passé pendant son hibernation ? Et d’ailleurs, combien de temps avait-elle été prisonnière de la gangue de marbre ? Dès qu’elle fut hors de vue de la propriété d’Amalric, elle se mit à courir. Arrivée à l’entrée de la ville, elle monta dans un aérobus. Le cœur battant à se rompre, elle resta sur le qui-vive jusqu’à l’astroport. Épuisée et affamée, Wendy dut s’acheter un sandwich avant de se mettre à la recherche de son seul contact. Le Hook et un certain Sham. Après avoir traversé tous les hangars, elle finit par trouver le vaisseau.

    8 - 2

    Anxieuse, elle s’avança vers la passerelle ouverte. Deux hommes montaient à bord en se disputant. Elle entendit des bribes de conversation.

    - Non, Camille ! Nous ne pouvons pas y aller ! Les commandos du groupe de Ralf Stens ont bombardé la propriété d’Amalric ! C’était prévu depuis longtemps ! Je n’ai pas réussi à le joindre pour arrêter la manœuvre. Si on y met le nez…

    - Mais te rends-tu compte de ce qu’elle risque ? Bon sang ! Don avait raison ! On aurait dû la boucler dans sa cabine ! Et il n’a pas donnée signe de vie depuis des heures non plus ! 

    - Excusez-moi, seriez-vous Sham ? appela Wendy à voix basse.

      Les deux hommes sursautèrent. Arkab bondit sur elle et l’immobilisa. Jean-Loup avait sorti son capteur infrarouge et scrutait les environs. Il la scanna aussi.

    « Elle a l’air seule et sans mouchard.

    - Montons-la à bord ! lança Camille. On ne peut pas se permettre de se faire remarquer.

      Altaïr se débattait, mais faible comme elle était, elle ne pouvait pas rivaliser avec la force des deux hommes. Ils la conduisirent jusqu’à la pièce principale où Jean-Loup Montjoie la reconnut brusquement.

    - Wendy ! cria-t-il en reconnaissant la femme qu’il croyait avoir perdu.

      Les deux hommes la lâchèrent immédiatement, mais elle ne put plus supporter tout ce qui venait de lui arriver. Elle s’effondra sur le sol.

    8 - 2

       Lorsqu’elle reprit connaissance, elle était allongée sur une couchette. Elle distingua trois voix différentes qui parlaient tout près d’elle. Elle ouvrit les yeux et dut cligner plusieurs fois des paupières pour que sa vue redevienne distincte. Elle se redressa sur les coudes. Les voix se turent.

      Elle jeta un bref regard autour d’elle. Son cœur se serra. Elle crut reconnaître la jeune femme noire qui l’avait sauvée, mais ce n’était pas elle, les yeux étaient ambre et non verts. Un des hommes resta en retrait tandis que le second s’approchait d’elle, l’air terriblement ému.

    - Wendy ! murmura-t-il.

    - Mon Loup !

     8 - 2

       Sans réfléchir, elle se jeta dans ses bras. Il la serra très fort contre lui. Elle s’écarta brusquement.

    - Où suis-je ? demanda-t-elle.

      Jean-Loup sourit.

    - Tu es à bord du vaisseau du commandant Sham.

      Wendy fronça le sourcil. « Qui est-ce ? » Son regard se posa sur l’autre homme. Elle poussa un petit cri.

    - Non ! Ce n’est pas possible ! Tu n’es pas… Camille !

      Jean-Loup baissa les yeux.

    - Wendy, il faut que tu saches… Il y a très longtemps que tu as disparu. Nous t’avons crue morte.

    - Combien de temps ?

    - Onze ans. avoua Camille.

    - Onze ans ! souffla-t-elle, affolée.

      Jean-Loup crut comprendre son angoisse.

    - Tu viens de passer un examen médical complet. Le médico-droïd a rendu son verdict. Pour lui, tu es toujours une femme de trente-huit ans et non de quarante-neuf. Le temps s’est arrêté pour toi, mais pas pour nous…

      Wendy hocha la tête et considéra Jean-Loup, qui la regardait avec tendresse et inquiétude. Il avait vieilli, en effet. Ses cheveux étaient maintenant grisonnants. La dernière fois qu’elle l’avait vu, il n’avait pas ces rides soucieuses sur le front. Elle avisa la jeune femme qu’on ne lui avait pas présentée. Camille avança.

    - Wendy, je te présente Syndël Myryan.

      Les deux femmes se serrèrent la main.

      Le jeune homme finit par poser la question qui lui tenait à cœur.

    - Wendy ? Comment as-tu été libérée ?

    - Je ne le sais pas très bien. Les ténèbres se sont dissipées brusquement. Je me suis réveillée dans les bras d’une jeune fille à la peau sombre. Elle m’a dit s’appeler Loreen. Est-ce votre sœur, Syndël ?

     8 - 2

       La chanteuse secoua négativement la tête, n’osant pas lui révéler elle-même la vérité.

    - C’est ma meilleure amie.

    - Elle a donné sa vie pour moi. Elle a retenu Amalric pour me permettre de fuir.

      Jean-Loup blêmit.

    - Non ! Ce n’est pas possible ! Elle n’est pas morte ?

      Wendy soupira.

    - Je ne sais pas. Mais peut-être cela vaudrait-il mieux pour elle, plutôt que subir la colère de Cal Amalric. Je lui ai révélé le passage pour sortir de chez Amalric, par les sous-sols. Mais c’était presque trop tard. Elle m’a poussée dehors en me disant qu’elle n’avait aucune importance. Elle m’a ordonné de venir ici. Elle m’a dit que c’était toi qui l’avais envoyée, Loup !

      Jean-Loup chercha les mots pour lui avouer l’identité réelle de l’inconnue.

    - Wendy ? Tu connais la jeune femme qui t’a sauvée. C’est Johanne, notre fille.

    - Notre fille, mais ce n’est qu’une… adulte ! finit-elle avec un sourire triste. Mon Dieu ! C’était Johanne ? Mais, elle n’a pas la peau noire !

    - Il existe bien des moyens de foncer ou éclaircir la couleur de sa peau… commenta Camille.

      Soudain, Wendy réalisa ce qui venait d’être dit.

    - Loup ! Ne me dis pas que tu as envoyé ma fille se jeter entre les griffes de ce sadique !

      Camille comprit que les explications risquaient de s’éterniser. Wendy ne pourrait jamais rattraper onze ans en dix minutes.

    - Le temps accordé pour les retrouvailles est écoulé ! coupa-t-il. Wendy, vous allez immédiatement repartir avec Jean-Loup et Syndël, pour rejoindre le vaisseau amiral. Le sacrifice de Johanne ne doit pas être vain. Moi, je m’occupe de retrouver Sham. Il va forcément me contacter. Il saura quelque chose. Je vous tiens au courant.

    - Je reste ici ! avança Syndël, déterminée.

    - Et pourquoi donc ? s’enquit Camille étonné.

    - Parce que je ne fuirais pas lâchement. Je n’abandonnerai pas Johanne ! rétorqua-t-elle en bravant ce regard vert qui la fascinait depuis la première seconde.

      Camille haussa les épaules.

    - Comprenez-moi, ce n’est pas une fuite, Syndël. Si vous êtes repérée, ce pourrait être dramatique pour vous ! Amalric doit avoir lancé un mandat contre vous !

     8 - 2

     - Je ne partirai pas sans elle ! s’entêta-t-elle. Johanne est mon amie ! Si vous parvenez à les retrouver, peut-être vous faudra-t-il quelqu’un pour faire décoller le vaisseau en urgence ou vous aurez besoin d’une diversion…

      Camille capitula, touché par la détermination affichée par la jeune femme. Les yeux d’ambre montraient sa décision de ne pas céder.

    - C’est d’accord. Mais vous ne quitterez pas ce vaisseau. Et vous suivrez mes instructions. »

    Suite du chapitre 8


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