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          Il fallut encore deux mois à la Flotte pour atteindre la planète Sobolev. Mais toute l’armée unioniste s’était rassemblée en cet endroit, et aucune des deux puissances en présence ne pouvait prendre le pas sur l’autre. Le siège de Sobolev dura deux mois, deux mois de réflexion au bout desquels l’état-major de la résistance décida de se retirer. Le général Stens et Jean-Loup Montjoie envoyèrent un message de paix au palais de Lutham Calv. L’offre était simple : arrêt des hostilités, et engagement de la part de la résistance de ne pas tenter d’envahir Sobolev, à condition que l’Union accepte l’indépendance des dix autres planètes civilisées. A l’étonnement général, une réponse positive fut renvoyée, signée à la fois par Lutham Calv, son premier ministre Stanford Rayan et le vice-président Kendal Pherson. Une cérémonie de signature eut lieu la semaine d’après, et la paix fut proclamée dans toute la galaxie. Donatien tint à y assister, et éprouva des sentiments mélangés à voir l'impassibilité de son grand-père. Par contre, le seul regard que lui lança Stanford Rayan le fit sourire. C’était un regard de haine pure, qui correspondait parfaitement à ce que lui-même ressentait. Lorsque la cérémonie fut terminée, Lutham Calv s’approcha de Donatien et les deux hommes se regardèrent dans les yeux.

    - J’ai eu beaucoup de mal, mais j’ai finalement réussi à admettre ce que tu m’as révélé. murmura Donatien. Tu es bien le père de ma mère et j’accepte cette ascendance, même si elle est très lourde à porter.

    - Je sais que tu as vérifié ! rectifia Lutham Calv. La trace de la prise de sang…

    - Mais ne crois pas que ce soit de gaieté de cœur ! Comment as-tu pu faire torturer une femme comme Phylia ? Et sans doute elle n’était pas la seule femme parmi les victimes de tes tortionnaires ! Parce que tu ne te salis pas les mains, n’est-ce pas ?

    - La fin veut les moyens. Elle savait ce qu’elle risquait. Elle s’était engagée en connaissance de cause, tout comme toi !

      Donatien secoua la tête.

    - C’est là que tu fais erreur, « grand-père » ! Je n’ai rien choisi du tout ! Quand maman est morte, j’avais dix-sept ans. Comme je ne savais rien de son engagement, le seul avenir que j’avais envisagé, c’était de devenir pilote de chasse dans l’armée officielle, dans ton armée ! Mais ton camp en a décidé autrement ! C’est Rayan qui m’a spolié de l’héritage de ma mère, m’ouvrant enfin les yeux sur la perversité de la justice de l’Union ; c’est Amalric qui m’a envoyé sur la planète grise, me permettant de rencontrer les résistants. C’est donc toi qui m'as poussé dans le camp de tes ennemis !

    - Tu as sans doute raison, soupira Calv. Sauf que ce n’est pas moi qui ai pris ces décisions. Lorsque je l’ai su, il était beaucoup trop tard. Et tu sais aussi bien que moi qu’il est aussi impossible de ressusciter quelqu’un que de le sortir de la planète grise. Enfin, avant tes divers coups d’éclats… ! » Il baissa soudain la voix, perdant d'un coup la morgue qu'il affichait. « Donatien, je voudrais juste que tu saches… N'avoir pu sauver vous sauver ta mère et toi, c’est la plus grande douleur de ma vie. »

      Donatien se détourna brusquement pour rejoindre sa délégation. Toutes les personnes présentes purent voir à quel point il était bouleversé. Il tournait le dos à Calv lorsqu’un cri jaillit.

    - Salopard de Fox !

      Don se retourna brusquement. Il vit le bras tendu de Rayan qui braquait son arme sur lui. Il se figea. Il n’était pas armé et ne pouvait rien faire pour se protéger du rayon mortel.

    - Puisque je tombe, tu ne triompheras pas longtemps ! Tu feras mes amitiés à ta mère, en enfer ! cracha Rayan avec un sourire sardonique.

      Le jeune homme eut l’impression que la scène se déroulait au ralenti. Il vit une silhouette se jeter entre Rayan et lui. Lutham Calv s’effondra sur le sol, tandis que les propres gardes du corps de Stanford Rayan reculaient d’un pas, stupéfaits.

    - Tuez les tous ! hurla Rayan. Mais, à sa grande surprise, le vice-président de l’Union s’avança et secoua la tête.

    - Arrêtez cet assassin ! fit-il simplement.

      Tandis que les soldats désarmaient Stanford Rayan, Pherson se tournait vers la délégation de la révolution, horrifié. Donatien était tombé à genoux auprès de Calv ; il secoua la tête.

    - Il est mort ! souffla-t-il. On ne peut plus rien pour lui.

    - Je vous présente toutes mes excuses, au nom de la planète Sobolev. Je suis navré, monsieur de cet incident et attristé de la perte de notre président. J’ose espérer que cela ne remettra pas en cause notre accord.

      Donatien se leva et secoua la tête.

    - Vous n’êtes pas en cause. C’était une vieille haine entre Rayan et moi. L’accord est signé. Mais mon grand-père a donné sa vie… pour moi !

      Terriblement choqué, Donatien s’excusa et voulut s’éloigner.

    - Commandant Genery ! Commandant Genery ! Attendez, je vous prie, il faut que je vous présente mes excuses.

      Il regarda accourir vers lui une femme blonde juchée sur de hauts talons et eut l’impression que ce visage surgissait du passé.

    - Je suis la femme de Stanford Rayan et je suis vraiment navrée. Je ne sais pas ce qui lui a pris. Il est devenu fou. Je ne partage absolument pas ses opinions et je tiens à vous assurer de ma sollicitude et de mon dévouement pour la paix…

      Donatien comprit en voyant que la femme lui souriait d’un air assez suggestif. Une envie de meurtre lui serra la gorge, mais il haussa les épaules.

    - Tu as décidément la mémoire bien courte, Jennie ! Sais-tu que tu as déjà joué cette comédie, il y a quinze ans, à l’homme que tu trahis aujourd’hui ?

      La blonde sursauta et pâlit en reconnaissant le regard gris.

    - Le commandant Sham, c’est… toi ? Donnie !

    - Et oui, ma belle. Je suis navré, Jennie, mais ne compte pas sur moi pour faire le prochain pigeon.

      Il la planta là et le regard perdu, il quitta la grande salle, suivi par la délégation. Il ne répondit à aucune question, ignora les félicitations et la joie générale que procurait la victoire. La sollicitude de Syndël et Mike resta sans effet. Sa seule préoccupation fut de s’éloigner des autres et de s’isoler. Aucun ordre du commandement, aucun appel de ses amis, aucune menace, rien ne put le faire sortir de son vaisseau pendant toute une semaine. Ce fut Mark qui le croisa dans un couloir, au beau milieu de la nuit. Il était rasé de près, habillé en civil, son regard clair étincelait de résolution.

    - Donatien ! Enfin ! Te voilà revenu à la raison !

    - Salut Mark ! Je suppose que les huiles sont encore en conseil ?

    - Euh, en effet. Mais, je te rappelle que tu es censé être une de ces huiles ! Ils ont encore déploré ton absence, d’après ce que m’a dit Camille ! Syndël et Mike sont restées avec lui, mais leur blabla commence à me gonfler. Maintenant que l’action est terminée, je m’ennuie !

    - Bon, je vais leur offrir le plaisir de ma présence, mais je pense que ce que je vais leur dire ne va pas les enchanter de reste.

      Mark fronça les sourcils en voyant son ami s’éloigner et décida de le suivre. Finalement, ce conseil ne serait peut-être pas si ennuyeux que ça ! Un grand brouhaha se fit entendre dans la salle de conférence à leur entrée. Les trois chefs, Jean-Loup, Stens et Phylia poussèrent un soupir de soulagement.

    - Commandant Fox-Genery ! Enfin ! Que se passait-il ? Expliquez-nous !

    - Il m’a fallu une semaine de repos. Et puis, vous savez que le jour de la cérémonie, j’ai eu un petit entretien avec mon grand-père, Lutham Calv. J’ai eu besoin de réfléchir à ce qu’il m’a dit, pour mieux comprendre son geste ensuite. Il a détruit ma vie, puis il l’a sauvée…

    - Vous allez mieux, alors ?

    - Tout à fait. Et dès demain je pars avec un des croiseurs.

      Un grand silence tomba et Camille songea que décidément, son ami ne changerait jamais.

    - Que dites-vous ? demanda Phylia.

    - Je prends un des croiseurs de la flotte, et je vais chercher Johanne. Je devrais être avec elle depuis deux mois ! Il m’en faudra encore quatre pour la rejoindre ! Par votre faute, j’ai manqué à la promesse que je lui avais faite ! La femme que j’aime est exilée loin de sa famille, sans possibilité de revenir par ses propres moyens ! Il est hors de question que je la laisse tomber !

    - Mais…

    - Vous n’avez pas le choix ! coupa-t-il. Sans Johanne, jamais nous n’aurions trouvé cette flotte, jamais nous n’aurions imaginé qu’elle existe vraiment. Si elle n’était pas restée là-bas, jamais nous n’aurions gagné cette guerre ! Alors demain, je pars la chercher avec un des croiseurs.

      Stens et Jean-Loup Montjoie échangèrent un coup d’œil.

    - Vous avez l’autorisation. fit le père de Johanne qui était tout à fait de l’avis de Donatien.

    - C’est gentil de votre part. ironisa-t-il. Mais je n’en ai nul besoin. Je pars, un point c’est tout !

    - Don, n’en rajoutez pas ! gronda Phylia. Mais vous comptez partir seul ?

    - Certainement pas !

      Quatre voix jaillirent en même temps et tout le monde éclata de rire, détendant l’atmosphère.

    - Bon, conclut Ralf Stens. Je crois que nous allons aussi devoir nous passer des services de messieurs Camille Montjoie, Mark Spencer et de mesdemoiselles Syndël Myryan et Micaëla Quinn ! Alors, bonne chance, et revenez-nous vite !

    Epilogue


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